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L'histoire pour comprendre et non pour regretter

Un retour sur l’histoire du Square Viger depuis son origine est très utile pour comprendre l’évolution de ses aménagements et les apprécier. Rappelons que la représentation nostalgique de l’âge d’or du Square Victorien n’existe plus depuis les années trente, alors que le secteur subit de nombreux bouleversements urbains et sociaux dont les conséquences se font toujours sentir aujourd’hui. Contrairement à la croyance populaire, ces problématiques ne sont en rien liées aux aménagements des années 1980.

 

À l'origine situé de part et d’autre de la rue Saint-Denis, au nord du ruisseau Saint-Martin, le square de style victorien est aménagé sur un terrain légué par la famille de Denis Viger ( 1818 ). Il est inauguré officiellement en 1860 et est alors considéré comme le centre d’horticulture de Montréal. Cette place de rassemblement est alors très prisée de la bourgeoisie montréalaise. L’âge d’or du square débute avec la construction de grandes institutions : la première Université de Montréal ( 1893 ), la Gare Viger ( Bruce Price architecte, 1896 ), ainsi que l’école des Hautes Études Commerciales ( Louis-Zéphirin Gauthier architecte, 1910 ) qui attirent une population fortunée dans ce secteur de la ville. 1913 marque le début du lent déclin du Square Viger avec l’installation d’industries et l’accroissement d’une population ouvrière dans ce secteur. Ce changement engendre la migration de la bourgeoise vers le nouveau et populaire Square Dominion, situé plus à l’ouest. En 1930, le prolongement de la rue Berri vers le sud sectionne le square et entraîne le déplacement de la majestueuse fontaine Lacroix au Carré Saint-Louis. Les institutions qui étaient alors garantes de la santé du Square Viger le délaissent : L’hôtel Viger ferme ses portes en 1935 et l’Université de Montréal déménage au pied de la montagne en 1943, laissant un square de plus en plus négligé. Le chantier de la station de métro Champ-de-Mars ( 1963 ) entraîne la destruction complète de l’îlot situé entre St-Denis et Berri ( l’actuel îlot A ) et laisse la surface de la parcelle en stationnement. Le coup de grâce advient en 1976 lors des travaux de l’autoroute Ville-Marie qui creuse une faille importante dans le tissu urbain, à l’emplacement même du square, provoquant une augmentation de la circulation automobile ( en nombre et en vitesse ).

3 îlots, 3 artistes

À la fin des années 1970, les aménagements proposés pour le Square Viger représentent une réponse innovante : recouvrir la faille créée par la nouvelle autoroute Ville-Marie, puis intégrer l’art public dans la ville et ses infrastructures. Les travaux d’aménagement financés par le ministère des transports du Québec (MTQ), sont menés sous la direction de la Ville de Montréal, par la firme d’ingénieurs conseil Lalonde, Valois, Lamarre, Valois et associés.

 

Tel un toît terrasse, le square couvre un tronçon de l’autoroute Ville-Marie. Trois artistes québécois renommés sont appelés à concevoir l’aménagement des trois îlots, ainsi que les œuvres qui les animent : Charles Daudelin ( 1920-2001 ), Claude Théberge ( 1934-2008 ) et Peter Gnass ( 1936- ). Le programme de chaque parcelle est prédéterminé par le maître d’ouvrage de la manière suivante : l’îlot A doit inspirer une agora, l’îlot B un parc ornemental et l’îlot C un parc pour enfants. Les aménagements répondent de manière inédite à des contraintes techniques importantes, notamment pourvoir des espaces de plantations malgré l’épaisseur de la dalle de recouvrement, intégrer les bouches de ventilation en béton à l’aménagement de chaque îlot et mettre en valeur une œuvre ou un ensemble sculpté.

ÃŽlot A

L’îlot A regroupe deux œuvres du sculpteur Charles Daudelin : l’environnement Agora – l’aménagement à proprement dit, et la sculpture cinétique Mastodo. Inaugurée en 1983 Agora est composée de vingt trois structures de béton (dont douze pergolas). Elles sont implantées sur une trame orthogonale, de manière à créer une alternance de zones pleines et de vides.

 

À l'origine, le paysagement conçu par Daudelin témoignait d’une recherche minutieuse d’espèces végétales capables de répondre aux contraintes saisonnières et techniques du site, soit l' épaisseur de la dalle et les bacs de plantation intégrés à l'aménagement de béton . Ces oasis devaient créer des jeux d’ombres et de lumières sur l’ensemble de l’îlot animé par les éléments. Le choix des arbres, arbustes, couvre-sol et vivaces laisse imaginer qu’à maturité, Agora aurait offert un paysage coloré, odorant et diversifié selon les zones et les saisons. L’aménagement réalisé par la Ville privilégia plutôt les variétés habituellement utilisées. Aux vues d’aujourd’hui, nous pouvons penser qu’Agora aurait une toute autre apparence si elle avait été arborée tel que prévu et surtout, entretenue. Par ailleurs, le projet initial prévoyait la présence de services fixes à l’intérieur des structures, notamment un café et une régie pour les événements scéniques. Ces équipements, ne furent jamais complétés.

 

L’imposante fontaine de bronze Mastodo constitue le pivot d’Agora. L’œuvre d’art originellement cinétique fut immobilisée peu de temps après son installation à cause d'un bris. Désincarnée de sa nature originelle, elle ne fut jamais réparée. Elle est composée d’une large assiette moulée qui se remplissait d’eau, basculait et déversait un torrent canalisé vers le centre, pour ensuite entourer l’agora. Au cœur de l’aménagement de Daudelin, Mastodo générait une dynamique aquatique remarquable : Agora dirigeait et déclinait l'eau de la cascade au ruissellement. La nuit, l’ensemble était mis en lumière par un éclairage intégré aux bassins. En tout temps, les remous devaient créer un son ambiant qui atténuaient les bruits de la circulation. L’aménagement de Daudelin cherchait à combler les cinq sens, mais sa réalisation incomplète et son abandon en ont peu à peu fait un non-lieu affecté par les problématiques sociales dont le quartier faisait déjà l’objet et qui perdurent aujourd’hui.

ÃŽlot B

Claude Théberge conçoit l’îlot B, un parc planté d’arbres au centre duquel est érigé Force ( 1985 ). La sculpture-fontaine est composée d’une suite de 7 monolithes en béton et granit noir fracturés en deux dont le centre éclaté laissait jaillir l’eau. Les courbes de l’aménagement paysager intègrent la bouche de ventilation de manière élégante et harmonieuse. Toutefois, la sculpture de Théberge subit le même sort que Mastodo : défectueuse, elle trône désormais au cœur de l’îlot asséchée, abandonnée et privée de son sens originel.

ÃŽlot C

L’îlot C présente des reliefs naturels couverts de gazon et des surfaces planes minérales. Conçu par Peter Gnass, il intégrait à l’époque Jeux d’enfants, œuvre aujourd’hui disparue. Fontaine est quant à elle toujours présente. Elle est composée de 34 tubes d’acier inoxydable de 4,5 mètres qui s’élèvent d’un bassin en béton et diffusent une bruine d’eau.

Texte par Marie-Dina Salvione_

PH.D. de l'École Polytechnique de Lausanne

Chargée de cours au DESS en architecture moderne et patrimoine à l'UQÀM

Membre DOCOMOMO Québec et de l'Institut du patrimoine de l'UQÀM

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